La problématique du harcèlement entre dans le champ de compétences générales du CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail. Dès lors, dès qu’un salarié vient confier au CSE qu’il est victime de harcèlement moral, il faut agir rapidement et avec rigueur.
1. Définir et comprendre la notion de harcèlement moral
La notion de harcèlement
Le harcèlement se définit, comme un comportement abusif marqué par des gestes, des paroles, des attitudes répétées visant une personne pour dégrader ses conditions de travail, sa santé physique et/ou mentale, à porter atteinte à ses droits et à sa dignité et/ou compromettre son avenir professionnel. (Article 222-33-2 du Code pénal)
Dans le cadre de l’entreprise, il est possible de faire la distinction entre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel.
Malheureusement, les quelques définitions légales dont nous disposons ne précisent pas réellement ce qu’est un agissement de harcèlement mais uniquement les conséquences de celui-ci. Il est donc nécessaire de caractériser ces comportements. Quand sommes-nous en présence de harcèlement ?
Il n’est pas facile d’identifier les agissements qui constituent un harcèlement. En effet, un ensemble de comportements peut être pris en compte.
Les différents types de harcèlement :
Pour commencer, notez qu’il existe plusieurs types de harcèlement :
- Individuel (le fait d’une personne identifiée au sein de l’entreprise) ;
o Vertical
Descendant : lorsqu’il émane du supérieur hiérarchique ;
Ascendant : lorsque le subordonné en est à l’origine ;
o Horizontal : il s’exerce entre membres du personnel, sans rapport hiérarchique ;
- Collectif (le fait d’un ou plusieurs salariés)
Une situation de harcèlement peut s’installer dans une entreprise ou un lieu collectif de travail à l’insu de tous. C’est pourquoi, il est nécessaire de sensibiliser tous les salariés.
Comprendre les fondements juridiques du harcèlement moral
L’article L.1152-1 du Code du travail interdit tout agissement répété de harcèlement moral entraînant une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible :
- de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié ;
- D’altérer sa santé physique ou mentale ;
- De compromettre son avenir professionnel.
Il convient de relever qu’il n’existe pas de liste précise des agissements pouvant conduire à un harcèlement moral ; toutefois, les tribunaux retiennent le plus régulièrement :
- La multiplication de sanctions injustifiées ;
- L’intimidation physique ou morale ;
- L’exclusion et la mise à l’écart (« mise au placard », absence de travail, exclusion des réunions ou de l’organigramme…) ;
- La dégradation des conditions matérielles de travail (comme l’affectation dans un local exigu, non chauffé, dépourvu de matériel efficace, la suppression des outils de travail) ;
- L’humiliation et la dévalorisation (méconnaissance du degré hiérarchique du salarié, blocage ou rétrogradation professionnelle, manque de respect) ;
- La persécution ;
- Les méthodes de gestion.
Notez que la prévention du harcèlement moral s’inscrit dans le cadre de l’obligation générale de prévention de la santé et de la sécurité au travail qui pèse sur l’employeur, ce qui a été confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 avril 2012 (n°10-21.118).
Par conséquent, à partir de ces éléments, nous pourrons préciser que le harcèlement :
1) Découle d’un comportement répété
Les faits doivent être obligatoirement répétés. Toutefois, le Cour de cassation confirme dans son arrêt du 24 septembre 2008 (n°06-45.579) que la répétition peut être sur une longue période mais également sur une période très courte. L’important n’est pas la fréquence, ni la durée mais bien le fait qu’il y a eu répétition.
2) Porte atteinte aux droits, à la dignité, ou altère la santé physique ou mentale ou encore compromet l’avenir professionnel du salarié
Sachez qu’il n’est pas essentiel que les trois éléments soient présents puisqu’un harcèlement peut être constitué même si les conséquences portent uniquement sur un des aspects de ses éléments.
Exemple : En cas de harcèlement moral, sa définition correspond à toutes situations intimidantes, hostiles ou offensantes et plus largement, à tous comportements qui a pour conséquence de rendre insupportable les conditions de vie ou de travail.
Il n'est donc pas nécessaire que le harcèlement ait causé un dommage au salarié.
3) Est commis par une personne présente dans l’entreprise
Il pourra s’agir :
- • De l’employeur ou de ses représentants ;
- • De collègues de travail ;
- • De personnes extérieures ;
2. Prévention du harcèlement moral
Dans un premier temps, notez que les dispositions législatives et règlementaires prévoient l’obligation pour l’employeur d’informer par tous moyens les salariés que le les faits de harcèlement sont prohibés et font l’objet de sanctions.
Généralement, l’information s’effectue via l’affichage obligatoire présent dans les locaux de l’entreprise. Cependant, dans les entreprises de plus de 250 salariés, l’employeur doit également inscrire dans les règlement intérieur l’interdiction de toutes pratiques de harcèlement.
Dès lors, vous devez vous assurer que l’employeur prévient tous risques de harcèlement dans l’entreprise par le biais de l’affichage obligatoire et du règlement intérieur, mais également qu’il connaît les actions à mener en cas de présomption de harcèlement.
Enfin, vous pouvez organiser une campagne de sensibilisation sur les risques professionnels au cours de laquelle les principales mesures de prévention des risques professionnels et plus particulièrement des Risques Psychosociaux (RPS) doivent être rappelées.
Est qualifié de RPS les actions qui portent atteinte à l’intégrité physique et à la santé mentale des salariés au travail. Ces risques peuvent provoquer des troubles divers, mal-être, stress, épuisement professionnel, souffrance…
Ces situations doivent être prise en compte au même titre que les autres risques professionnels. Il est nécessaire de les évaluer, de planifier des mesures préventives de préférence sinon curatives.
Finalement, le CSE doit être associé à cette démarche de prévention du harcèlement moral en entreprise. Le CSE est qualifié dans ses fonctions pour proposer toute mesure de prévention en matière de santé, sécurité et conditions de travail.
3. Agir face à un cas de harcèlement moral
Certains comportements équivoques peuvent conduire à plusieurs interprétations possibles. De plus, la preuve de certains agissements peut se révéler difficile, voire impossible à rapporter.
Il convient de noter que la loi prévoit une procédure dans laquelle la preuve du harcèlement ne doit pas être apportée par le seul salarié victime, mais repose en réalité sur les deux parties.
Recueillir les preuves de harcèlement
La preuve d’un harcèlement se fera en trois temps :
- Le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence de harcèlement, étant précisé que tous moyens de preuve peuvent être apportés.
- Après une analyse complète et approfondie de l’ensemble des éléments, l’employeur apprécie les pièces, pris dans leur ensemble, permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral.
- Dans l’affirmative, l’auteur des faits de harcèlement devra prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.
Le rôle du CSE et plus précisément de la CSSCT
Dès que vous avez connaissance de faits de harcèlement moral, en tant que membre du CSE et/ou de la CSSCT, vous pouvez notamment :
- Nommer un référent harcèlement sexuel et moral et agissements sexistes.
- Saisir l’employeur par écrit en l’informant des atteintes causant un dommage au salarié.
- Discuter avec le salarié et l’informer qu’il doit garder tous les documents de preuve.
- Inviter le salarié à contacter la médecine du travail ou une association adaptée.
En l’absence de CSSCT (Commission SSCT obligatoire dans les entreprises de 300 salariés et plus) le CSE a seul toutes les prérogatives liées à sa fonction SSCT.
1) Instaurer un climat de confiance avec le salarié
Soyez attentif, il peut arriver qu’un salarié porte des accusations de harcèlement infondées envers l’employeur ou un autre salarié, soit parce qu’il est face à une relation difficile dans son travail, soit parce qu’il confond harcèlement et exercice du pouvoir de direction.
Ainsi, en tant que membre du CSE, votre rôle est d’être un relais efficace entre l’employeur et le salarié qui s’estime à tort victime de harcèlement.
La première chose à faire est d’instaurer un climat de confiance avec la victime. Vous devez lui prêter une écoute attentive, et impérativement passer par le contact humain. Dans de telles situations, une voie administrative classique est à éviter.
Avant de proposer des solutions, il est impératif de recevoir la victime et le ou les supposé(s) auteur(s), afin de comprendre la situation. Nous vous recommandons de faire en sorte que ces rencontres s’organisent de manière discrète, en informant seulement les principaux intéressés.
En effet, l’ébruiter permettrait au présumé auteur de faire disparaître les preuves.
Dans un deuxième temps, une fois un climat de confiance installé avec le salarié, vous pouvez l’orienter vers des professionnels extérieurs de l’entreprise, en parallèle de l’enquête que vous réalisez. Il est judicieux d’orienter la victime vers une structure associative spécialisée, un médecin, le médecin du travail, un inspecteur du travail, un psychologue, un avocat etc… Enfin, votre rôle consiste également à apporter des conseils au salarié victime, notamment sur la constitution du dossier et le rassemblement des preuves. Ensuite, vous pouvez l’aider à rechercher des solutions, analyser les causes et origines du problème.
2) Le rôle du CSE vis-à-vis de l’employeur
Comme évoqué précédemment, vous devez inciter l’employeur à mettre en place des mesures préventives pour éviter que de tels faits se reproduise.
Exemple : Lui proposer d’exposer les faits détaillés qu’il reproche au salarié en cas d’avertissement et d’organiser des réunions de recadrage concernant l’attitude d’un salarié en présence d’un témoin.
a. Exercer un droit d’alerte
En cas de harcèlement avéré, vous devrez informer l’employeur du problème afin de lui exposer la situation.
Vous pouvez le faire à travers l’exercice de votre droit d’alerte (Article L.2312-59 du Code du Travail). En effet, en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou leurs libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ou proportionnée au but recherché, celui-ci peut être exercé.
Cette atteinte peut notamment résulter d’une situation de harcèlement moral.
Si l’employeur ne réagit pas à la suite du déclenchement du droit d’alerte, vous pouvez saisir directement le Conseil de prud’hommes compétent ou encore l’inspection du travail, également compétente pour constater le terrain de harcèlement moral (ou sexuel).
Sachez également que les syndicats représentatifs des entreprises peuvent intenter une action en justice en lieu et place du salarié, sous réserve de recevoir l’accord écrit de ce dernier.
b. Superviser et accompagner les actions de l’employeur
De son côté, l‘employeur doit, en cas de suspicion de harcèlement, mettre en place les mesures adaptées pour protéger la victime, dans le même lapse de temps qu’il commence son enquête afin de recueillir les éléments qui lui permettront d’établir les faits.
Pour cela, vous pouvez expliquer à l’employeur que l’absence pour maladie peut être dans certains cas le meilleur moyen de mettre le salarié à l’abri et de se protéger également lui-même contre la mise en cause de sa propre responsabilité.
Nous vous invitons à vous rapprocher du médecin du travail qui saura vous accompagner au mieux dans cette démarche.
Par ailleurs, rappelez-lui que les troubles générés par le harcèlement moral peuvent être assimilés à une maladie professionnelle. Tout comme, un suicide reconnu comme étant consécutif à des faits de harcèlement, peut être considéré comme un accident du travail.
Au-delà de la protection de la victime, il faut également garantir la protection des témoins. En effet, si ces témoins sont protégés cela facilite l’apport des preuves de harcèlement.
Dès lors, notez qu’un témoin ne peut ainsi faire l’objet, ni de mesure discriminatoire en matière de rémunération, promotion renouvellement du contrat, ni de sanction du fait de son témoignage.
Enfin, vous devez veiller à ce que l’employeur sanctionne tout « salarié harceleur », et ce, le plus tôt possible, proportionnellement à la gravité du harcèlement, de sa durée, des techniques employées…
Attention, en cas de saisine du Conseil de prud’hommes par la victime pour des fait de harcèlement, l’employeur ne doit pas attendre l’issue de la procédure pour réagir et engager la procédure disciplinaire contre l’auteur présumé des faits. Pour rappel, l’employeur ne dispose que de 2 mois pour engager une procédure disciplinaire à compter de la connaissance des faits fautifs
En dernier lieu, pour accompagner l’employeur face à cette situation particulièrement délicate, vous pouvez lui rappeler que son inertie risque d’être lourdement sanctionnée et lui indiquer ce qu’il doit faire et ce qu’il peut faire.
c. Le déroulement de l’enquête
Nous vous rappelons qu’en tant que membre du CSE (ou de la CSSCT quand elle existe) en cas de faits de harcèlement moral vous pouvez diligenter une enquête avec ou sans l’employeur.
Nous vous recommandons de réaliser une commission d’enquête avec un nombre restreint de personnes.
Comment se déroule une enquête ?
Etape 1 : Audition de la victime et de l’auteur présumé : la « victime » doit être entendue.
Attention, les deux parties doivent être entendues de manière impartiale et bénéficier d’un traitement équitable.
Nous vous recommandons d’établir un questionnaire à l’avance et de déterminer les personnes à auditionner.
Etape 2 : Réaliser un compte rendu des auditions. Sachez qu’il est normal que certains témoins souhaitent garder l’anonymat, cependant, notez que le Juge ne pourra pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes (Cass. soc., 4 juil. 2018, n°17-18.241).
Etape 3 : L’auteur présumé des faits peut faire l’objet d’une mesure conservatoire pour garantir la sécurité de la victime et les intérêts de l’entreprise.
Etape 4 : Présentation de l’enquête aux autres membres du CSE au travers d’une réunion à titre d’information et de consultation.
C’est à cette occasion que des mesures pourront être prises en vue d’améliorer les conditions de travail.
Pour finir, l’employeur n’est pas tenu d’informer les élus sur la sanction (Article L.1152-5 du Code du travail) envisagée à l’égard du salarié mis en cause si ce dernier est reconnu responsable.
d. Le recours à une expertise par les membres du CSE
La loi accorde également la possibilité aux membres du CSE de recourir à un expert en cas d’une risque grave, identifié et actuel, pour analyser la situation dans le détail et de façon objective (Article L.2315-94 du Code du Travail).
Le recours à l’expertise peut permettre de mettre des situations de harcèlement moral en lumière, là où le CSE et l’employeur rencontreraient des difficultés dans la procédure, ou que le climat de cette dernière s’avère tendu. Les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur.
Solutionner la situation de harcèlement moral par la médiation
En cas de harcèlement moral, l’employeur peut proposer une médiation.
Dans ce cas, l’employeur, accompagné des membres du CSE, propose, avant tout contentieux à la victime d’engager une médiation. Le médiateur est choisi par la victime et l’agresseur, parmi les salariés de l’entreprise ou des personnes extérieures, inscrit sur une liste tenue par le préfet du département.
Malheureusement, si la conciliation échoue, il les informe des droits et des sanctions encourues.
En tant que membre du CSE, si vous n’êtes pas formé à l’assistance psychologique du salarié en situation de souffrance. C’est pourquoi, vous pouvez intervenir en l’assistant dans ses démarches et actions à conduire auprès de l’employeur.
4. Et le rôle du référent harcèlement alors ?
La loi impose la désignation d’un référent au sein du CSE en matière de lutte contre le harcèlement sexuel les agissements sexistes, cependant elle n’indique en rien quel est son rôle !
Dès lors, il appartient donc aux élus du CSE de définir quelle mission sont du ressort de ce référent, qui ne dispose pas de moyens particuliers par rapport aux autres membres du comité à part un droit de formation.
Il appartient surtout aux élus, dans les entreprises concernées, de faire correspondre le rôle du référent avec celui de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).
Il est important de rappeler que le référent choisi n’a aucune responsabilité juridique quant à la survenance de faits de harcèlement sexuel ou d’agissements sexiste dans l’entreprise. Comme évoqué précédemment, cette responsabilité incombe uniquement à l’employeur.
Le rôle du référent peut ainsi être imaginé comme un rôle de rassemblement des faits constatés dans l’entreprise et des mesures prises par l’employeur, un rôle de communicateur auprès des salariés sur ces problématiques, un rôle de représentants du CSE face à l’employeur dans les enquêtes menées suite à des alertes déclenchée sur ces sujets… C’est uniquement aux élus de définir le rôle du référent, et non au président du comité.
Plusieurs organismes de formation spécialisés auprès des CSE proposent une formation destinée au référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Il nous parait indispensable que le référent suive une telle formation.
5. Synthèse
Le CSE dispose d’un rôle majeur à la fois dans la prévention du harcèlement moral mais également dans sa gestion. En effet, il accompagne et conseille l’employeur et le salarié tout au long de la procédure interne. Même s’il n’a pas de pouvoir de sanction, il ne se retrouve pas dépourvu dispose de moyens d’actions en cas d’inertie de l’employeur et peut le contraindre à agir en saisissant les bons acteurs.